Il est en face de moi. C'est une grosse frappe du destin. Un coup si violent porté au niveau de mon ventre. J'ai l'impression de ne pas pouvoir respirer, de manquer atrocement d'air, oui, de l'air... C'est exactement ce dont j'ai besoin au moment où je vous parle. Tous les souvenirs refont surface et j'ai l'impression que les escaliers se dérobent sous mes pieds. Il est là en face de moi, son sourire contagieux que je n'avais pas vu depuis si longtemps s'efface pour laisser place à la surprise. Les souvenirs frappent à l'intérieur de ma tête ; Je revois ces enfants assis dans l'herbe, éloignés du bac à sable et des enfants. Je me revois en train de lui dire ; Plus tard, quand on sera grand grand grand, on se mariera. Je porterai une grande robe blanche et toi un costume blanc. On vieillira ensemble dans une grande maison... Ah ! Et on aura des enfants ; une fille et un garçon. En attendant d'être grand, je te promets qu'on ne se séparera jamais. Promets le aussi ! Les larmes menacent de couler, déborder, déferler le long de mon visage. Je déteste ce que je ressens à ce moment même, c'est un sentiment de culpabilité qui me fais l'effet d'une brûlure au niveau du coeur. Je déteste ça mais en même temps, c'est là tout ce que je mérite. Je n'ai pas tenu ma promesse, j'ai été la première à partir, à couper les ponts, changer de numéro de téléphone, d'adresse, sans lui parler de Ji Woo. J'avais pas envie de vivre sans lui pourtant. Je ne m'en sentais pas non plus capable. Et pourtant j'ai survécu. J'ai difficilement survécu sans cesser de penser à lui ne serait-ce qu'une journée entière. Ma mère m'avait proposé l'avortement mais je n'ai pas pu non plus. Tout jeter de Seung Joo, je n'en ai pas eu la force. J'ai d'ailleurs tout gardé dans des boîtes.

Je n'ai pas pensé à la personne pour laquelle je suis passée auprès de ceux qui sont restés à Séoul à cette époque là. C'était assez évident comme ça pour moi enfaite. Je suis simplement partie. Le reste est remonté à la surface plus tard, quand je me suis retrouvée seule à quelques mois de l'accouchement. J'ai repensé à la dernière fois que je l'ai vu. Je ne savais pas que c'était la dernière fois. Nous nous sommes réveillés dans le même lit -qui n'était ni le mien, ni le sien- seulement, je me suis réveillée beaucoup plus tôt que lui. Cette maison ressemblait à un champ de bataille quand je me suis réveillée. Des adolescents du même âge que moi à l'époque, étaient allongés sur les canapés, le sol, les escaliers. On voyait des vêtements trainer par terre, des tas de choses par terre en somme. Et on comprenait que les parents n'avaient pas encore débarqués. Je me suis réveillée avec probablement la pire gueule de bois de ma vie. Ce qui ne m'a pas empêchée de me taper tout le chemin pour rentrer chez moi. C'était la dernière fois que j'ai vu Seung Joo car peu de temps après, on m'a annoncé que j'étais enceinte et alors je ne suis plus jamais revenue au lycée, beaucoup trop déprimée, angoissée. Beaucoup trop ce que j'étais. Je me souviens parfaitement, je pouvais me retrouver à pleurer pendant un après-midi entier dans cette chambre qui était la mienne. J'avais songé à avorté, l'idée m'a traversé l'esprit une seule fois mais a aussitôt disparue. Et après ça ma mère a annoncé qu'on déménageait, non pas qu'elle avait honte de moi. Elle voulait me protéger, je l'aurais probablement encore plus mal vécu selon elle. Ainsi donc, nous avons quittées Séoul pour nous installer aux États-Unis pendant un peu plus d'un an. Voila ce qu'il s'est passé. Je n'en ai jamais parlé à qui que ce soit, pas même Ji Woo. Ji Woo qui n'a jamais posé de question à propos de son père comme s'il avait deviné que le sujet était délicat. Je n'ai jamais réussi à extérioriser la douleur.

Me retrouver alors ici en face de lui, je ne sais pas si je m'y suis assez préparée. Oui, voila le problème ; je ne m'y suis pas préparée. J'ai fais x cauchemars comme ça, des cauchemars qu'on ne compte plus. Le fait d'entendre sa voix à nouveau me refroidis de l'intérieur. J'ai froid. Je sais que ça fait un moment, mais tu peux me tutoyer quand même, tu sais... Ou comment utiliser un euphémisme pour dire que ça fait une éternité qu'on ne s'est pas revus. Ne le dis pas, je le sais. Quatre ans, l'âge de Ji Woo. J'éprouve le besoin de m'aggriper à la rampe de l'escalier mais mes genoux, mes jambes me lâchent alors je finis par m'asseoir. Une minute, deux , trois, six minutes défilent et alors je reprends mon souffle, me relève à l'aide de la rampe. Je dois vous avouer que j'ai peur de croiser son regard. J'ai peur de l'entendre dire ce qui est inévitable. Ma main gauche tremble mais serre la rampe d'escalier si fort que c'est à peine visible.

Hye Won - S-Seung Joo, ne fais pas ça, commençais-je en secouant négativement la tête, ne me parle pas comme si j'étais une étrangère, pas comme ça. Ça sonne beaucoup trop faux dans ta bouche. Dis moi juste à quel point tu es en colère, ce que tu ressens et je t'écouterai, j'encaisserai...

Je me concentre sur cette marche d'escaliers entre nous, à défaut de pouvoir le regarder dans les yeux. Cette marche symbolise à elle seule, quatre ans de séparation. Je passe discrètement le revers de ma main au niveau de mes yeux pour stopper ces larmes naissantes. Dis moi juste à quel point tu es en colère, et j'encaisserai. C'est le prix à payer pour être partie pendant aussi longtemps ? Je pense que c'est ça. Je pense que ça reste petit à côté des quatre années qu'il a perdu, qu'ils ont perdus, qu'on a perdu...

Quand j'étais petite, je ne rêvais pas du prince charmant qui remonterait l'allée pour venir me chercher parce que mon coeur était déjà prit. Ce n'était pas un prince mais pour moi il valait beaucoup plus que ce titre. Il suffisait qu'il sourisse pour que tout aille mieux sa ma vie et malgré son insouciance qui faisait de moi la petite fille la plus inquiète du monde, je ne pouvais pas m'empêcher de me sentir bien avec lui plutôt que d'autres. On pourra en dire ce qu'on veut mais avant de vivre dans le corps d'une fillette âgée de huit ans amoureuse, on ne peut pas dire que c'est insignifiant parce que c'est probablement une des plus belle chose qui puisse exister. Dans votre tête, il y a cette voix qui vous dit que cette période où vous vivez pour vous-même est finie parce que quelqu'un d'autre a débarqué. Cette voix vous dit que des tas de choses vont changer en bien ou en mal. Et après vous avoir prévenue, elle ne dit plus rien, la voix. Quoi que l'on puisse en dire, je pense que la vie dans le corps d'une petite fille de huit ans c'est compliqué.
Mais alors lorsqu'on grandi les choses deviennent progressivement dure à comprendre ; nous avons des choix à faire et nos choix doivent être justifiés, expliqués, décryptés. Une des pires choses qui puisse exister c'est probablement l'incompréhension. Quand on ne se comprend pas, rien ne va. Parfois j'ai peur que dans ses yeux, je ne vive plus faute de ne pas être suffisament clair dans mes explications ou dans mes gestes. Mais peut être que j'ai déjà cessé d'exister. Quoi de plus surprenant, je suis partie pendant quatre ans sans donner de nouvelles. Je suis partie mais l'idée qu'il ait pu refaire sa vie sans moi est insupportable parce que je n'ai pas réussi à l'oublié une seule journée de mon côté. Et ça même s'il y avait de fortes chances que je ne le revoie plus jamais de toute ma vie... Aujourd'hui sans que je ne m'y prépare, les chances ont tournées en ma faveur. J'avoue que c'est un peu étrange de me retrouver en face de lui après tant d'années séparés l'un de l'autre. Je me suis imaginé cette scène tellement de fois avant de me réveiller en sursaut. Et maintenant ça se produit pour de vrai, impossible que je me réveille d'avantage.
La réalité est là, elle frappe à grand coup, comme pour me dire que qui que l'on puisse être, on ne lui échappe pas. Et ça peu importe la vitesse à laquelle on peut courir. Je réfléchis à toutes ces choses et je ne peux m'empêcher d'avoir de la peine pour Seung Joo parce qu'il a perdu quatre années loin de son fils. Quatre années que je lui ai presque arraché quand on y réfléchit bien. Je tente d'effacer avec discrétion ces larmes naissantes quand la chaleur de sa main réchauffe la mienne. Il commence une phrase avec mon prénom. Sa phrase est hésitante et dans sa bouche mon prénom résonne d'une façon différente. Entendre mon prénom de sa bouche me ramène à la réalité. Hye won, je quoi ? Tu quoi Seung Joo ? Mon regard s'applique à éviter le sien en se posant à présent sur la rampe d'escaliers.
Il me demande de ne pas pleurer mais malgré le fait que j'en aies la ferme intention, les larmes débordent et presque automatiquement, je les efface du revers de ma main libre. Dans quelques minutes, les choses ne seront plus ce qu'elles sont. Dans quelques minutes, il m'en voudra beaucoup trop pour m'adresser la parole. Dans quelques minutes, quoi qu'il puisse en dire, il sera en colère et je ne pourrais pas l'en empêcher parce que j'ai fais du mal. Sans y réfléchir plus que ça, j'ai fais du mal. Je secoue négativement la tête en fermant les yeux en pensant ; "ne dis pas ça Seung Joo, tu ne le sais pas encore mais c'est faux". Je serre légèrement ma main dans la sienne et ajoute


Hye won - Tu as tout faux... Il est probable que dans les minutes qui vont suivre tu m'en veuilles tellement que l'idée de m'adresser la parole n'existe plus. Mais ce qui est sûr, c'est que tu vas m'en vouloir. Je ne sais pas à quel point cela dit ce sera justifié. Alors ... Alors ne dis pas des choses que tu ne penseras plus, c'est tellement difficile de t'annoncer ça...


La réalité vous rattrape un après-midi alors que vous descendez les escaliers pour rejoindre votre fils. Elle vous annonce que vous devez rendre des comptes et que vous allez perdre l'amour de votre vie dans quelques minutes à peine pour une erreur de jeunesse qui ne pardonne pas. La réalité, il faut savoir qu'elle court plus vite que vous. Elle court si vite qu'on ne lui échappe pas. Même si ce n'était pas mon intention. Même si elle a seulement refait surface alors que je m'y attendais le moins. La réalité c'est ça, et aujourd'hui elle porte le nom de Seung Joo... Il ya tellement de choses que j'aurais du lui dire au lieu de partir sans prévenir ce matin-là. Ce n'est pas la première fois que je le réalise mais c'est une des innombrables fois où je me rend compte qu'il est trop tard pour faire quoi que ce soit. Cette impression mélangée à la culpabilité, c'est probablement la pire torture qui puisse exister.